Quand on naît sur la commune de Vallauris, terre des céramistes, sculpteurs, peintres célèbres ou inconnus, on a forcément les sens en éveil. Cela ne donne pas pour autant le talent, encore moins l’idée qui fera mouche.
Après avoir été responsable visuel pour une grande enseigne de prêt-à-porter et écarté l’idée de la faire de la création pure, Jonathan Canuti a décidé de développer un concept d’up-cycling dans la mode, créatif et participatif baptisé le Studio Clandestin. Lui et son équipe retravaillent les basiques du dressing homme, femme et enfants (costume, parka, chemise, tee-shirt, polo) et proposent chaque année une collection d’une soixantaine de pièces à acheter sur le site internet ou en boutiques. Mais il invite aussi à ses clients à piocher la silhouette qui leur plaît sur le site et à envoyer leurs propres vêtements à retravailler dans leur labo clandestin où une façon artisanale est à chaque fois mise en avant. Créer la rareté, faire des pièces éditées à petit échelle, valoriser les savoir-faire locaux, promouvoir son travail (un premier défilé réussi au Mamac) c’est beaucoup d’investissement mais aussi beaucoup d’amour en retour. Ça tombe bien, il ne carbure qu’à ça.
Quel fut le déclic pour quitter le retail et vous lancer dans la création mode ?
A vrai dire : l’âge. J’ai profité du peu d’insouciance qui existait en moi pour me lancer dans ce pari fou. A 30 ans, c’était maintenant ou jamais et avec le soutien et l’aide de mes amis et de ma famille il n’y avait plus qu’à sauter le pas. Comme je le dis souvent, je préfère vivre avec des remords qu’avec des regrets. Ma situation personnelle aussi m’a permis de me lancer. Fraîchement célibataire, c’était le bon moment. Lancer une collection mais surtout une entreprise prend beaucoup de temps et d’énergie. J’ai vu en ce projet un accomplissement personnel, une sorte de délivrance. Je vois Studio Clandestin comme un tournant de ma vie important, un rêve qui s’accomplit et un merveilleux cadeau pour mes 30 ans.
Pourquoi le Up Recycling et non pas la mode au sens strict ?
La mode au sens strict est une aventure très coûteuse. Je n’ai suivi aucune formation de mode et je ne suis pas « professionnel », simplement un grand amoureux de la mode. Déjà petit j’aimais habiller mes amis avec de vieux vêtements pour des spectacles par exemple. Aujourd’hui, pour être plus concret, réaliser une veste de costume, quand vous êtes sans formation, vous coûte 450 euros de patrons, et quasi la même chose en couture et tissus, ce qui représente des coûts très importants. Il était impossible de débuter avec des prix avoisinant les 1200 euros pour une simple veste de costume. Des lors, avec un ami, nous avions eu l’idée de créer une boutique où il aurait été possible de déposer d’anciens vêtements pour en faire de nouveaux. Tous deux dans le Retail, nous étions sidérés par la surconsommation de vêtements, qui plaçait celui-ci au rang de simple banalité consommée. Puis cette idée a mûri, et j’en suis venu à créer une collection de 90 pièces faites de vêtements existants dans laquelle le client a le choix d’acheter les silhouettes telles quelles ou de personnaliser ces pièces via « le Laboratoire ». C’était avant tout le meilleur moyen de proposer des pièces quasi uniques ou personnalisées, mais aussi de limiter les coups pour pouvoir tenir.
Est-ce plus simple au final ?
Bien au contraire la tâche est plus difficile car les matières diffèrent (plus ou moins d’élasticité, de marge de manoeuvre), mais c’est aussi cela qui m’a plu dans le Up Recycling : c’est avant tout un bon moyen de rendre la mode plus écologique mais aussi plus complexe. On part d’une idée, d’un croquis mais à la fin tout a changé. On fait, on défait, on réajuste, on modifie. Chaque pièce, chaque couture est différente, même si elles sont éditées à plusieurs exemplaires, elles sont différentes car le coup de ciseau, de fil n’est pas le même à chaque fois !
Pourquoi Studio Clandestin?
Le nom m’est venu car nous n’avons pas de studio de création fixe. Il est un peu partout et nulle part à la fois. On fonctionne justement un peu comme un atelier clandestin. Il est actuellement dans un ancien pigeonnier réaménagé à Drap. Il sera l’année prochaine dans un vieux chalet que nous sommes en train de refaire et nous ne savons pas où il sera dans plusieurs années. Ce nom est l’image du message que nous souhaitions faire passer : la MODE est partout !
Comment travaillez-vous au sein du studio ?
Nous travaillons actuellement à trois : Martine, qui est notre couturière, à un emploi du temps chargé. Elle réalise tous les prototypes des défilés, tricote toutes les mailles, réalise les pièces commercialisées chez Hattori Boutique et bientôt chez GM Concept à Cannes. Elle s’occupera également du « laboratoire ». Elle est la bonne fée qui donne naissance à toutes les idées même les plus farfelues. Puis il y a Camille Giordano et moi-même pour la communication et les stratégies commerciales (développement, collaborations, partenariats, projet d’expansion…) et je m’occupe aussi de la direction artistique de la marque (Collections, campagnes, …).
Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez croisé une personne habillée en Studio Clandestin ?
Oui je m’en souviens très bien. C’était un soir, nous sortions avec Camille d’un repas brainstorming, lorsque nous avons croisé Stéphanie Scardina qui est, de surcroît, notre première cliente officielle. Elle portait notre emblématique tee-shirt noir « L’amour ». Nous avons ressenti une immense fierté. Voilà seulement deux jours que nous avions lancés les ventes et Studio se baladait déjà dans la rue !!!
Comment s’est déroulé le premier défilé au MAMAC ?
Il s’est très bien déroulé malgré le stress énorme qu’engendre un tel évènement. C’était le 6 octobre au C’Factory complexe MAMAC ( j’en profite pour remercier Nicolas Dermen sans qui nous n’aurions pas eu un tel écrin pour mettre en valeur nos créations). Le moment était magique, puissant, éreintant, mais plein d’amour. Nous avons présenté la collection devant pas moins de 230 personnes. Je dis nous car il y avait moi et 60 bénévoles venus soutenir et participer au projet Studio Clandestin. J’ai encore du mal à descendre de mon nuage tant l’émotion et la fierté étaient fortes !! Je remercie encore tout le monde car du premier ils en ont fait l’Inoubliable.
Les avantages et les inconvénients de ne pas être à Paris ?
Je ne vois pas d’inconvénient à ne pas être à Paris si ce n’est en terme de points de vente et de rapidité d’évolution (trop parfois car tout vient à point à qui sait attendre). Beaucoup de designers sont tombés car à vouloir faire tout trop vite, on en oublie l’essentiel et ce pourquoi on fait ce métier. Comme je le disais précédemment la MODE est partout. Aujourd’hui avec les réseaux sociaux il est très facile d’obtenir de la visibilité si vous êtes pertinents bien entendu. Selon moi la Fashion-week de Paris est un peu comme un noël de la mode, les défilés s’enchaînent jusqu’à la crise de foie. Les scénographies sont de plus en plus grandioses et en font même oublier le monde réel. La mode n’est pas une bulle, elle est un art qui appartient à tous et qui se trouve partout. Pourquoi concevoir des décors aux budgets pharaoniques quand il est possible de les organiser dans des lieux magnifiques où il n’y a rien à ajouter ? Pourquoi n’inviter que la presse et les meilleurs clients quand on défend l’idée d’art de la mode ? Pourquoi ne pas donner vie à nos créations dans le lieu qui a pu nous inspirer ? Paris donne la « Tendance » mais nous ne sommes pas tendance, nous sommes Clandestins. Et pour finir pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?
Les stylistes qui vous ont inspiré ou vous inspirent ?
Je répondrais simplement que Studio Clandestin c’est la rigueur de Coco Chanel, l’authenticité de Karl Lagerfeld, la douceur de Christian Dior, la folie de Margiela, le partage des savoirs d’Yves Saint Laurent, la passion de Zac Posen le tout orchestré par la rêverie d’Alexander McQueen et l’humour de Viktor and Rolf !
La porcelaine mis à l’honneur l’année cette année. Et l’année prochaine ?
Notre valeur première est le partage des savoirs. Nous tenons vraiment à mettre en avant un atout culturel, artistique … qu’il soit de la région ou pas. Le but n’est pas de créer pour créer il est de faire découvrir, de défendre une idée, d’enseigner à travers nos collections. Cette année, j’avais choisi la porcelaine car natif de Vallauris il est clair que j’ai baigné dans la céramique depuis ma tendre enfance. Et j’en suis tombé amoureux. Lorsque j’ai visité la première biennale internationale de céramique contemporaine qui à lieu tous les deux ans sur Vallauris, j’ai compris que la céramique (grès, porcelaine, …) pouvait être détournée, donnant naissance à de véritables oeuvres d’arts. J’ai donc eu envie de donner vie a notre logo qui est « – .-. » qui signifie la lettre « C » en morse à travers la porcelaine. Ces empiècements sont devenus aujourd’hui identitaires à la marque. Vous les retrouverez d’ailleurs dans la nouvelle collection.
Scoop ! L’année prochaine ce sera le Cyanotype. Après l’orange « couché de soleil », Studio Clandestin célèbre le Bleu l’année prochaine. De ce fait, nous avons confié les rennes des imprimés de notre collection à la jeune artiste Nyden La Fée Laetitia Combes qui réalisera des étoffes aux impressions inédites grâce au Cyanotype (procédé qui rejoint la photographie, à la différence que l’unique coloration est bleue). Mais je ne vous en dis pas plus. Rendez-vous l’été prochain pour la collection 2020 !
Propos recueillis par Eric Foucher