Dans les hauteurs de Nice, ce jeune prodige de la mode imagine et raconte des histoires ensoleillées, au gré de ses rencontres.
Humble, passionné, altruiste et engagé… Jocelyn Delcasso fait partie de ces rares personnes solaires, qui attirent la sympathie au premier coup d’oeil. Là-haut, dans ses collines niçoises, le jeune créateur dessine, crée et imagine ses collections de vêtements et accessoires responsables, confectionnés à partir de chutes d’usines. Rencontre avec cet entrepreneur-artisan sur lequel le temps n’a pas d’emprise.
Vous êtes jeune – 24 ans à peine – comment avez-vous fait pour vous crédibiliser dans le milieu de la mode ?
Se sentir « crédible » n’est pas une évidence. La question se pose forcément, surtout au début. Mais une fois lancé, on se rend vite compte que l’on est fédérateur, qu’il est possible de trouver des partenaires, et la crédibilisation arrive ensuite au fur et à mesure. Il est aussi vrai que j’ai eu une expérience dans le luxe avant de monter mon projet, notamment dans plusieurs grandes maisons – Chanel, Louis Vuitton et Hermès – ce qui m’a beaucoup aidé.
Comment décririez-vous l’identité de votre marque ?
Ma marque propose du sur-mesure de créateur et des accessoires uniques, empreints de valeurs artisanales et écologiques. Je crée des histoires humaines fortes qui font écho à des identités locales et à un certain savoir-faire.
Pourquoi avoir choisi la toile de store et la corde de bateau comme matières premières pour vos sacs ?
J’ai trouvé ces rouleaux de store dans la buanderie d’une amie. Pendant un mois, j’y ai pensé et j’ai finalement décidé de l’appeler. Comme elle n’en faisait rien, je les ai rapportés chez moi et j’ai commencé à travailler avec. Comme je souhaitais comprendre l’origine de ce tissu, je suis remonté d’ami en ami, de connaissance en connaissance, jusqu’à la fameuse usine. Dans l’entrepôt, j’ai compris que les toiles utilisées se révélaient être des chutes d’usines qui n’étaient pas encore revalorisées. Ma démarche s’apparentait donc à de l’upcycling.
Lorsque l’on contemple votre ligne de sacs, on y voit beaucoup de rayures. Pourquoi vous êtes vous concentré sur ce motif ?
Ce qui m’a intéressé dans les rayures, c’est leur aspect authentique. Elles véhiculent une image à la fois urbaine et méditerranéenne ; mais elles évoquent aussi des souvenirs de vacances ensoleillées, des voyages… C’est ça qui est beau avec ce design : il parle à tout le monde et rappelle immédiatement un moment à quelqu’un.
Vous utilisez des chutes d’usine pour fabriquer vos sacs. Cela signifie que vos collections sont en constante évolution ?
Tout à fait, c’est la surprise à chaque fois ! Il m’arrive de récolter des toiles qui présentent une centaine de rayures différentes. Finalement, le plus dur reste de choisir ! (rires). Quoi qu’il en soit, je souhaite vraiment recycler ce que l’on me donne. D’ailleurs, je suis persuadé que cet « effet de surprise » se retranscrit chez mes clients.
La toile de store c’est très local, mais en même temps c’est très universel, il y a un amour de la couleur, un amour de la rayure, qui se retrouve partout.
Sur votre compte Instagram, on peut lire que vous nourrissez une passion pour la boucle et le fil, pourquoi ?
Durant mes études, j’ai découvert la maille sur des machines à tricoter des années 70, ce qui m’a énormément plu. Cet enthousiasme créatif m’a amené chez Louis Vuitton, où je suis devenu styliste maille du studio Prêt à porter femme, puis, dans les usines de tricotage de Chanel et Hermès, où j’ai pu me perfectionner dans le produit. De toutes ces expériences ont découlé une forte connaissance de la maille et une réelle passion pour l’artisanat. C’est la raison pour laquelle j’ai commencé par fabriquer des vêtements en maille pour ma marque, avant d’imaginer les sacs.
Est-ce important pour vous de proposer des produits accessibles ?
Oui bien sûr, car j’ai une démarche artisanale, il faut être cohérent. L’idée c’est de pouvoir en vivre, mais de proposer quand même des produits accessibles. Je n’aimerais pas que mes amis me disent « c’est génial ce que tu fais, mais je ne pourrais jamais me payer tes produits ». En revanche, il est certain que lorsqu’on lance sa marque, on est confronté à des réalités. Penser à un produit dans une globalité de contraintes (temps passé sur le vêtement, coût des matières premières…) est très challengeant, cela demande beaucoup de travail.
Pour vraiment exister en tant qu’artisan-créateur « libre », il faut sans cesse se réinventer.
Jacquemus a popularisé le Sud, la Provence et tout l’imaginaire qui va avec, est-ce un « plus » d’être niçois aujourd’hui ?
Il est vrai que je suis niçois, mais ma famille vient de Bourgogne – j’ai vécu la bas – et j’ai également habité à Paris. C’est pourquoi je ne me sens pas « que » niçois, je suis plutôt un mix de tous ces endroits. D’ailleurs, je ne m’inspire pas uniquement du Sud pour élaborer une collection, même si cette esthétique solaire me séduit. Il faut aussi reconnaître que la population comprend et adhère désormais au fait que l’on peut travailler dans la mode et ne pas vivre dans la capitale.
Créer ailleurs qu’à Paris donne une respiration à la mode.
Jusqu’où souhaitez vous emmener votre marque, quel est votre objectif à long terme ?
Je souhaite continuer à développer ma marque de manière sereine, tout en ayant une une vraie identité et légitimité. J’aimerais aussi garder ma liberté, mon indépendance. Finalement, je crois que c’est ce que je peux me souhaiter de mieux d’ici 10 ans : me lever le matin, aimer toujours autant ce que je fais et être libre !
Propos recueillis par Louise Ballongue / Photos : Baris Demiray, Louise Ballongue et Ilan Dehe
NB : Vous pouvez trouver les accessoires et vêtements Delcasso à Nice chez Hattori, Lea, Cappucino, L’Ouvre-boîte et Skola ou directement sur le E-shop maison