C’est dans son antre parfumée, au coeur du village de Saint-Paul de Vence que Sonia Godet s’exprime, note après note. Petite-fille de « nez », celle qui a repris la Maison Godet en 2016, nous partage avec ferveur son goût pour la création… et la liberté.
Passionnée et passionnante, Sonia Godet fait partie de ces femmes-ouragans que rien n’arrête. Ni la conjoncture économique, ni son confortable poste à New-York ne l’ont dissuadé de reprendre la « Maison Godet », héritage parfumé de ses ancêtres. Si la rose, l’ambre et le tabac froid caractérisent le sillage de la créatrice, c’est depuis le coeur de sa boutique – aux milles et un parfums – qu’elle a répondu à nos questions.
Quels sont vos premiers souvenirs olfactifs ?
Deux odeurs m’ont marqué dans le jardin de mon grand-père. D’abord, la rose Centifolia, aux multiples facettes. Puis le crottin de cheval, un élément nécessaire pour faire pousser les roses. Je trouvais ces senteurs aussi belles l’une que l’autre. Or, c’est bien là que le travail de parfumeur prend tout son sens : il faut passer outre les « mauvaises odeurs », être capable d’imaginer des choses, composer avec des matières premières de tous types.
Comment est né votre obsession pour les parfums ?
Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été passionnée par les senteurs. À l’âge de 4 ans, mes parents m’empêchaient déjà de rentrer dans une parfumerie, car ils savaient que j’allais tout sentir. Je connaissais tous les grands noms et savais décomposer les odeurs : fleur d’oranger, rose… Ça a donc toujours été une obsession.
Mon grand père, qui était nez, m’a initié à la composition des parfums à l’âge de 8/9 ans. J’ai appris à macérer les fleurs et végétaux, à distiller des parfums avec lui.
Naturellement, après mon bac, j’ai suivi une formation de chimiste. J’ai ensuite intégré le groupe Oréal, où j’imaginais les formules de gels douches de la marque Roger & Gallet. Mais il me manquait une dimension artistique. J’ai alors eu la chance d’être contactée par Cartier, qui m’a proposé un poste à New-York. J’étais en charge des collections US et Canada. Mes bureaux étaient sur la 5th Avenue. C’était une époque rêvée.
J’ai pu apprendre toutes les facettes du métier de parfumeur, mais aussi ce que signifiait l’exclusivité.
Jusqu’au jour où mon grand-père, qui résidait à Saint-Paul de Vence, a eu un AVC. J’ai aussitôt pris un vol pour être à ses côtés et m’occuper de lui. J’en ai profité pour faire du tri et, en fouillant dans son grenier, je suis tombée sur une mallette qui contenait de nombreux flacons anciens (1900-1925), flacons qui avaient été créés par son père.
Ça a été une révélation ; comme un appel de mes ancêtres. J’ai tout lâché, pour relancer la maison qui avait été arrêtée dans les années 70.
C’est ainsi qu’a commencé un véritable travail de recherche : retrouver les formules, les producteurs, et les ingrédients (rose de grasse, jasmin, tubéreuses…) a été un sacré défi.
Avez-vous grandi avec l’idée que vous deviez reprendre cette maison ?
Non, pas du tout. Si mon grand-père m’encourageait à poursuivre ma passion de nez, il ne m’a jamais incité à reprendre la maison. D’ailleurs, quand je lui ai annoncé mon envie de la reprendre, il était sous le choc. Pour lui, ce n’était pas une bonne idée. J’avais un très bon job et la conjoncture était difficile… Mais de mon côté, prendre cette décision était une évidence.
Comment modernise-t-on une marque de parfums tout en respectant sa tradition, son histoire ?
La chance que j’ai, c’est que je suis libre dans toutes mes créations. J’ai mon laboratoire, je peux donc suivre mon instinct, mêler comme bon me semble tradition et modernité.
Les flacons sont par exemple moulés à la main de façon traditionnelle, et les fragrances, extravagantes, jouent la carte de la modernité.
Cette liberté, je veux la conserver. C’est pourquoi je refuse d’ouvrir des points de vente : lorsque l’on perd son autonomie, on est obligés de répondre à une demande commerciale.
Il paraît que certaines de vos fragrances vous ont demandé beaucoup de temps – jusqu’à deux ans de réflexion – pourquoi ce processus de création est-il aussi long ?
Créer un parfum demande du temps – entre un an et deux ans pour chaque fragrance maison Godet. Il est également vrai que je suis perfectionniste. Mais il faut apprendre à être patient pour créer, c’est la clé.
Aujourd’hui, quels sont vos objectifs et envies pour la maison Godet ?
Notre objectif n’est pas d’être mondialement connu. Il s’agit plutôt de garder notre ligne directrice et de continuer à créer. Nous avons également à coeur de lancer 2/3 parfums chaque année. J’aimerais ensuite collaborer avec de nouveaux hôtels. Nous avons déjà créé pour certains leurs signatures olfactives (Le Mas de Pierre). À chaque fois, c’est un nouveau défi, une nouvelle création.
Enfin, quelles sont vos bonnes adresses dans la région ?
A Nice, j’aime déjeuner au Bocal ou chez Paper Plane et à Saint-Paul-de-Vence, je me ressource au sein de La Colombe d’Or, un hôtel-restaurant imprégné par les artistes et peintres passés. C’est un lieu magique, qui donne l’impression de remonter le temps !
Propos recueillis par Louise Ballongue / Photos : Maison Godet