Introspection spirituelle, poésie du Shetl et du message biblique au Musée Chagall puis ballade paisible parmi les oliviers et les agapanthes de son jardin d’éden sur la verte colline de Cimiez.
Marc Chagall, né le 7 juillet 1887 à Vitebsk, en Biélorussie aurait-il pu imaginer un jour, après avoir connu l’exil, une révolution majeure et deux guerres mondiales, mourir presque centenaire dans le sud de la France, à St Paul de Vence, non loin du musée monographique et thématique qui lui a été consacré de son vivant ?
Chagall découvre Nice en 1926 et se prend de passion pour un pays qui prend « par-ci par-là… » des allures bibliques. Reconnaissante, Nice lui cédera un emplacement de rêve sur l’antique colline de Cimiez afin qu’André Hermant, ancien collaborateur d’Auguste Perret et adepte de la forme répondant à une fonction, édifie en 1973 pour s’adapter à une collection préexistante, un musée de plain-pied de 900 m2, structuré par un dispositif architectural alliant rigueur, sobriété et sérénité.
Dans une première salle composée par trois polygones sont réunies douze peintures de très grand format, illustrant les deux premiers livres de l’Ancien Testament : la Genèse et l’Exode, une toile par cimaise donc. Dans la pièce qui suit, de forme logiquement hexagonale sont disposées les cinq compositions sur le thème du Cantique des Cantiques. Peints à partir de 1956 sur une dizaine d’années, ils constituent le “Message biblique”, vaste ensemble de 17 tableaux légués à l’État en 1966. Davantage que que l’illustration d’une narration biblique, ils sont révélateurs d’un sentiment tragique et d’une vocation prophétique autant qu’onirique et peuvent être considérés comme le testament spirituel de Chagall. La collection s’est enrichie en 1973 puis en 1987 lors de la dation pour rassembler in fine plus de 800 peintures, gouaches, lithographies, collages, livres illustrés, bas-reliefs, céramiques, dessins, lavis et pastels couvrant cinq périodes de sa prolifique carrière allant de 1903 à 1985 ! La programmation annuelle prévue par la direction des Musées Nationaux et par sa jeune conservatrice Johanne Lindskog se recentre sur les vastes ressources de la collection tout en se conformant au souhait des époux Chagall de revivifier sans cesse le lieu par des expositions d’art contemporain, des conférences et des concerts de musique moderne et contemporaine donnés dans le remarquable auditorium orné de trois vitraux illustrant la création du Monde.
Pour exemple, le musée s’intéresse l’été 2017 à la sculpture, méconnue parmi l’œuvre prolixe de Chagall et très rarement dévoilée au public. Tardivement découverte et faisant dans un premier temps l’objet de modelages et de céramiques dans les ateliers Madoura de Vallauris, la sculpture se taille ensuite dans la pierre de Rognes, le marbre blanc ou se décline en bronze à partir des années 50. On y retrouve toute l’iconographie fantaisiste propre à la peinture de Chagall. Qu’il s’agisse des thèmes bibliques, de l’influence des icônes de la Russie impériale ou de celle de « l’art vu… sur les pupitres de la synagogue », on retrouve l’irruption des prodiges dans le paysage prosaïque du shetl par un jeu d’échelle et une normalisation de l’apesanteur, le bestiaire fantastique avec le totémique coq et son cortège de chèvres ânes, chevaux et lapins souvent hybridés et les fiancés en lévitation au dessus des toits, inspirés sans doute autant par la gravure populaire russe qu’on nomme Loubok que par le « Luftmensch » (l’homme de l’air en yiddish), qui désignait l’homme pauvre et par extension le juif errant.
Dans le jardin d’essences méditerranéennes conçu par Henri Fisch, planté d’oliviers, de cyprès, de pins et de chênes- verts et bleui par les agapanthes qui fleurissent tous les 7 juillet date de l’anniversaire de Chagall, une mosaïque polychrome conçue par l’artiste domine une pièce d’eau et une ligne d’horizon lumineuse tracée par Henri Olivier et restituée par un néon de 32 m de long par delà le filtre des arbres se rend visible depuis l’intérieur du musée pour instaurer une continuité sensorielle avec son écrin de verdure. Si vous souhaitez lire très tranquillement un ouvrage sur Chagall acheté à la boutique du musée, installez-vous sur une chaise de la charmante petite gargotte pour déguster une crêpe qui tient plutôt du blini d’ailleurs, ou toute autre chose qui vous permettra de jouir calmement de ces instants suspendus dans l’ambiance quasi-monastique de ce très élégant musée qui convie le visiteur à emprunter un parcours mystique au cœur d’une œuvre inspirée et lumineuse. On adore… ou pas !