Construite sur le sentier des douaniers de Roquebrune Cap-Martin, cette maison de Bord de Mer d’Eileen Gray et Jean Badovici est un véritable manifeste d’architecture moderne. Elle pose les fondements de l’ingéniosité fonctionnelle et d’une esthétique balnéaire nouvelle.
Séduite par le paysage somptueux du Cap Martin entre mer et montagne, à la terre rouge contrastant avec la mer infiniment bleue, à la végétation dense mêlant plantes endémiques et exotiques, l’architecte et designer irlandaise Eileen Gray achète un terrain en 1925.
Construite entre 1926 et 1929 sur cet environnement encore vierge, juste après la Villa Noailles de Mallet-Stevens à Hyères, la Villa E-1027 enfonce le clou de la modernité architecturale en franchissant un nouveau cap.
Jean Badovici, son compagnon de l’époque, architecte et éditeur de la revue « Architecture vivante » y consacrera un numéro entier à l’automne 1929 tant les innovations seront nombreuses et audacieuses en termes d’esthétique (ndrl : une édition en fac-similé de la revue avec plans et photos est en vente à la boutique. On ne saurait trop la recommander aux amateurs d’architecture).
La réouverture de la Villa après cinq ans de travaux pour une restauration à l’identique, permet de découvrir l’aspect visionnaire de cette réalisation. Non seulement dans sa forme générale mais aussi tous les détails pratiques dont beaucoup servent encore de modèles à l’habitat d’aujourd’hui.
Cette villa iconique sera rejointe dans les années suivantes sur le site par le restaurant « l’Etoile de mer (1948), la cabanon (1952) puis l’atelier du Corbusier (1954) et enfin les Unités de camping (1957), pour former ce que l’on nomme maintenant l’ensemble du « Cap Moderne ».
Pour les travaux de rénovation une association ad hoc a été créée en 2014. Cinq millions et demi d’euros seront nécessaires à la rénovation complète. Trois millions et demi financés par les institutions publiques (Drac, Département, Région et Conservatoire du littoral) et plus de deux millions par du mécénat privé, notamment la fondation Getty. A travers son programme « Keeping it modern », elle subventionne la rénovation d’un grand nombre d’édifices remarquables et pionniers dans l’utilisation du béton comme celui-ci.
Tout le site de Cap moderne est maintenant la propriété du Conservatoire du Littoral qui en a confié la gestion au Centre des monuments nationaux. Un hangar et un wagon ont été aménagés sur le quai de la petite gare de Roquebrune et permettent maintenant l’accueil et l’information du public avant la visite en petit groupe du site.
Le sentier des douaniers étant fermé pour travaux suite à un éboulement pour quelques mois encore, l’accès se fait par la plage de Buse, ce qui est finalement bénéfique pour comprendre tout l’intérêt de cette architecture balnéaire.
Quand elle aborde sa première réalisation architecturale, Eileen Gray connaît déjà bien tous les pionniers de l’architecture moderne (Gropius, Van Doesburg, Mallet-Stevens, Chareau, le Corbusier, etc.) notamment via Jean Badovici qui publie régulièrement leurs travaux dans sa revue. Si elle avait au départ prévu un simple refuge pour leur couple, le projet de maison dont le nom imbrique leurs initiales prend rapidement de l’ampleur.
Avec ses apparences de petit paquebot bleu et blanc, ses balcons, terrasses et son pont supérieur donnant sur la mer, l’édifice est entièrement tourné vers la mer. Cette villa sur pilotis et à toit plat s’inscrit parfaitement dans le terrain en restanques. Au nord une cuisine extérieure permet de profiter de l’ombre. Au sud une terrasse ombragée de pins parasols fait office de salon d’été.
En rez-de-chaussée supérieur le séjour offre une vue imprenable sur la grande bleue avec ses baies vitrées escamotables brevetées par Jean Badovici. Les différentes pièces bénéficient de mobiliers remarquables, parfois mobiles, toujours polyvalents comme dans l’espace salle à manger se transformant en bar en cocktails de façon très ingénieuse. Les cloisons amovibles permettent de créer de l’intimité tout en gardant les espaces ouverts.
Chaque chose devant trouver sa place, des petites étiquettes précisent la place de chaque objets dans la maison (chapeau, vaisselle, etc). Quelques créations de tapis et de mobiliers comme le fauteuil transat ou la table de chevet chromée circulaire seront par la suite mis en vente dans sa galerie parisienne.
Le couple ne profitera que très peu de temps de leur réalisation ensemble. Ils se séparent en 1931. Eileen Grey va à Menton où elle construit une petite maison baptisée « Villa Tempe a païa », mais la villa E-1027 restera son chef d’œuvre.
Le Corbusier, ami du couple, y séjournera à plusieurs reprises et y réalisera sept très belles peintures murales en 1938-39, contre le souhait d’Eileen Gray d’ailleurs qui estimait que « l’architecture doit être sa propre décoration.
Le Petit Plus : Un livre relatant tout le processus de rénovation de la villa, un véritable travail d’orfèvre mené par quatre architectes et un paysagiste spécialisés, tous passionnés par cette construction, sera publié à l’automne.
Par Eric Foucher (Texte et Photos sauf vue d’ensemble Manuel Bougot )