Sur le site de Cap Moderne, à côté de la magnifique et avant-gardiste villa E-1027, un hôte brillant mais parfois encombrant a bâti des unités de camping, un cabanon et un petit atelier, simples et fonctionnels. Son nom : Le Corbusier. Découverte de sa parenthèse azuréenne.
Si le site de Cap Moderne rassemble deux noms devenus célèbres dans l’histoire de l’architecture (Eileen Gray et Le Corbusier), ils ne se sont cependant pas côtoyés sur cette petite parcelle de terrain du Cap Martin.
Le Corbusier visite trois années durant la Villa E-1027 avant-guerre et demande à Jean Badovici, séparé depuis près de dix ans d’Eileen Gray, la possibilité d’y séjourner pour profiter du soleil et de la mer, mais aussi pour peindre : « J’ai de plus une furieuse envie de salir des murs : dix compositions sont prêtes, de quoi tout barbouiller (ndlr : des « barbouillis » aujourd’hui classés mais qui n’auraient, dit-on, pas été du goût de la designer).
Dix ans plus tard en août 1949, il revient dans la villa pour travailler sur le plan d’urbanisme de Bogota, avec José Luis Sert, Paul-Lester Wiener et une équipe de dessinateurs. Il demande à Thomas Rebutato, qui vient d’ouvrir un snack-bar et devient son ami, de nourrir toute l’équipe durant leur séjour. L’Etoile de Mer sur le sentier des douaniers est décoré des peintures murales évoquant la mer et la passion de la pêche de Thomas Rebutato. Il sera la liaison entre la villa E-1027, isolée sa parcelle depuis 1929, et le cabanon puis les unités de camping.
En parallèle de sa mission sud-américaine, le Corbusier se lance en effet dans un projet d’un village de vacances (nom de code « Roq »). Ce projet ne verra jamais suite à une tempête qui contrarie sa faisabilité. Mais il inaugure ses propositions architecturales pour les loisirs basées sur les mesures du Modulor ( 226 cm x 226 cm).
C’est peut-être en souvenir de l’auberge en bois et des modestes baraques de pêcheurs du Bassin d’Arcachon où il aimait passer des vacances au milieu des années 20 avec sa femme Yvonne que l’architecte à l’idée de son Cabanon accolé à L’Étoile de mer en 1952.*
Le plan du Cabanon est un carré de 3.66 m x 3.66 m par lequel on accède par un couloir de 70 cm au fond duquel on trouve un WC. La toiture assez haute prolonge celle du restaurant offrant en hauteur des espaces de rangement.
Dans l’intérieur très dépouillé, tout est conçu pour répondre aux besoins de la vie quotidienne: un espace couchage au nord-est avec une petite fenêtre donnant sur les restanques. Au sud, un petit lavabo et sa fenêtre ouvrant sur un caroubier et une fenêtre de ventilation. Un espace de séjour avec une table fixe qui permet de voir la baie. Un placard adossé au couloir et des boîtes rectangulaires avec poignées qui permettent une assise haute ou basse complète le mobilier.
C’est son ami et menuisier Charles Barbéris qui réalisa les panneaux et les éléments de structures en kit dans son atelier d’Ajaccio. Ils furent acheminés par train et déchargés directement depuis la voie ferrée juste au-dessus du site pour être assemblés. Le bardage en dosses de pin fut retenu à la fois pour l’aspect rustique mais aussi l’isolation.
Deux ans plus tard, Le Corbusier dessine et construit à ses frais cinq Unités de camping en échange du terrain pour son cabanon, son atelier mais aussi une parcelle en aval sur le bord de mer. Elles doivent permettre au couple Rebutato de compléter leur activité de restaurateurs par de l’hébergement en accueillant l’été des pensionnaires attirés par une vie sans contrainte en bord de mer. L’activité perdurera jusqu’en 1984 longtemps après la mort de Thomas Rebutato en 1971.
Construites sur structure sur pilotis, elles illustrent les recherches sur un habitat de loisirs modulaire économique, adapté au tourisme balnéaire de masse. Chacune des cellules peut loger deux personnes dans 8 m² ; une baie en « T » cadre le paysage face à la mer. L’aménagement intérieur reprend certains principes du Cabanon dans ses aspect fonctionnels.
En 1954, Le Corbusier fait poser une baraque de chantier à quelques mètres du Cabanon en guise d’atelier. Il peut y travailler et conserver sa collection d’objets « à réaction poétique », des os, des galets et des bouts de bois trouvés sur la plage. Comme siège, il se contente d’une caisse de whisky.
*L’ensemble de L’Étoile de mer avec les Unités de camping devient propriété du Conservatoire du Littoral en septembre 2000, par donation de la famille Rebutato. Le Cabanon de Le Corbusier a été inscrit en 2016 sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco au sein d’une série intitulée « L’œuvre architecturale de Le Corbusier, une contribution exceptionnelle au mouvement moderne » qui rassemble 17 bâtiments de Le Corbusier réalisés de par le monde.
Par Eric Foucher
(Source Association Culturelle Eileen Gray / Etoile de Mer / Le Corbusier)