Fou de vins, Lionel Jean vous fait partager ses découvertes et les perles rares du vignoble français.
Ouvrir une cave à vins au beau milieu du boulevard Gorbella il fallait oser. Lionel Jean, né au pays du Muscadet l’a fait. Et contre tout attente, il a trouvé une niche dans cette partie haute de Nice-Nord. Un quartier peu prisé jusqu’alors pour ce type de négoce.
Le Temps d’un Vin, une enseigne proustienne qui aurait pu s’appeler aussi le temps retrouvé. Ce nantais de 44 ans décide un beau jour d’interrompre une carrière bien entamée: « J’exerçais en tant que directeur des relations clientèles depuis 15 ans dans de grosses boites internationales, Ebay, Abritel. J’ai voyagé, vécu à Paris, Berlin, Genève ». Mais à l’approche de la quarantaine il rompt avec ce milieu d’affaire, lassé des rapports de forces, du stress, de l’argent roi : « J’avais besoin de me poser, de retrouver d’autres valeurs et de vivre à mon propre rythme ».
Sa reconversion, il la fera sous le signe de Bacchus. Une passion esquissée étudiant qui ne l’a jamais quitté ». Dès la trentaine, je me suis mis tout en travaillant à faire les salons, le tour des vignobles. J’ai fini par prendre des cours d’œnologie à l’université du vin à Suze la Rousse dans la Drome ». En 2013 il retourne dans sa ville natale, intègre un bar à vins. Puis c’est le grand saut. Il décide de s’installer sur Nice pour le climat mais pas seulement : « j’y ai de la famille, tous mes étés depuis que je suis gamin, je les ai passé ici ». Fort de son expérience de businessman, il se met à son compte en 2016. « J’ai fait le tour de Nice, il n’y avait rien sur Gorbella. J’ai pensé qu’une bonne cave y avait sa chance ». Le temps d’un vin est une enseigne qui pourrait semblait étrange dans ce quartier populaire qui fut jadis la banlieue nord de Nice mais il draine également une clientèle aisée résidant dans le proche quartier des Poètes, ou celui pavillonnaire autour de la villa Arson, sans oublier les « collinaires » qui descendent de Gairaut ». C’est un boulevard très fréquenté par ceux qui viennent faire leurs courses. Il y a trois supermarchés. Progressivement j’ai pu récupéré les amateurs de vins lassés des rayons formatées des grandes surfaces et qui viennent ici chercher des conseils ».
Pour capter cette clientèle il ajuste son offre. « Très vite des tendances se sont dégagées. Le rouge représente 50% de mes ventes annuelles. Le rosé 30% qui en été monte à 80% ».
Ainsi ce fou de vins qui traque le mouton a cinq pattes s’est-il aussi spécialisé dans les rosés d’Outre Provence : « Du Languedoc, de Bordeaux et même du Beaujolais ! Dénicher des crus de caractères méconnus, c’est la partie la plus fun de mon travail. J’ai environ 300 références en permanence mais j’en ai proposé au moins 500 depuis l’ouverture. Cela tourne beaucoup ! »
Tous les mois il y a des nouveaux arrivages car dés qu’il le peut Lionel part en repérages.
« Je continue à faire les salons et foires. Cet été j’ai réalisé mon tour de France en sillonnant le Jura, la Bourgogne, la Loire. Je suis redescendu par Bordeaux pour des dégustations à Saint-Emilion ».
Il y ramènera quelques prises dont une petite production du fin fond du vignoble : « Le château Vieux Larmande qu’on ne trouvera nulle part ailleurs à Nice ! »
Présent à Vinitaly, l’an dernier il en a profité pour allez à la rencontre des viticulteurs en terre transalpine. Bien sur les classiques de la Provence sont bien représentés mais avec des cuvées atypiques comme le Clos Saint-Joseph, « le seul Côte de Provence en 06 » ou le vin des moines de L’ile Saint-Honorat. Mais la cave s’ouvre à d’autres rouges sudistes. Lionel a un faible pour les crus du Rhône et les vins du sud-ouest. Des régions qui ont trouvé leur public « Ces vins ont plus de succès ici que les Bordeaux et les Bourgognes. La fourchette de prix est plus accessible et ils demeurent assez souples et aromatiques pour se marier à la cuisine locale ». En rouge il a également déniché dernièrement des pinots noirs du Jura plus épicés.
L’autre crédo de la cave : Les nouveaux nectars bios, objet d’une demande croissante. Son offre ouvre sur des domaines travaillant en biodynamiques ainsi que sur un florilège de vins naturels tel ce Jurançon rouge baptisé lestement « You fuck my wine » arborant une étiquette représentant Travis (Taxi driver) au volant de son Yellow cab. Dans un genre moins « freaks » un cahors « Malbec » vieillit en amphore côtoie quelques autres de ces « mistigris » vitivinicoles qui jouent crânement l’authenticité.
En pleine interview, rentre dans la boutique un jeune homme qui travaille au Château de Bellet et vient souvent ici en quête d’inédit. Notre caviste lui dégote la perle rare. Un blanc du Sud-ouest bien nommé « Unique » car issu à 100% d’un cépage oublié, le Camalaret, un cru unique au monde ! « Les jeunes sont de plus en plus nombreux à franchir le seuil de ma cave. Est-ce un retour à la tradition ? En tous cas le vin est pour eux une expérience gustative ! » souligne Lionel Jean dont la cave est elle même un véritable cabinet de curiosités à même de sustenter les soifs les moins ordinaires.
Olivier Marro