Chez Pipo, la crépitante socca qui enflamme le four à bois est à se damner. Elle se déguste très poivrée, à la minute et sans chichi en finger food avec un verre de rosé en terrasse et fait aussitôt oublier qu'elle s'est fait attendre par son statut de star de la cuisine patrimoniale niçoise
Chez Pipo, la crépitante socca qui enflamme le four à bois est à se damner. Elle se déguste très poivrée, à la minute et sans chichi en finger food avec un verre de rosé en terrasse.
250 g de farine de pois chiche, 50 cl d’eau, 3 cuillères à soupe d’huile d’olive et une cuillère à café de sel fin, voilà les 4 ingrédients de base de la socca. Pourtant, ce plat rassasiant incarne à lui seul le paradoxe de la gastronomie modeste, constituée de mets économes en ingrédients mais à la saveur originale et incomparable car même avec une belle plaque en cuivre étamé comme l’exige la tradition, vous aurez sans doute du mal à égaler la socca hautement gustative des gargottes « historiques » qui comme « Chez Pipo » bénéficient du 5ème ingrédient qui fait toute la différence : Le four à bois chauffé à très haute température de 300 à 500 degrés pour saisir la galette grillée et craquante en surface et moelleuse sur 2 mms d’épaisseur.Certains historiens attribuent l’origine de la socca à une riposte des niçois assiégés par les turcs au 16ème siècle du temps de l’héroïne Catarina Segurana, l’huile brûlante déversée sur les assaillants ayant été cette fois agrémentée pour des raisons mystérieuses de farine de pois chiche, une délicatesse culinaire normalement inappréciable dans pareilles circonstances…Plus probablement inspirée de la « farinata » originaire de Ligurie et importée dans le comté de Nice par les ouvriers gênois, la socca s’est définitivement fixée à Nice pour devenir avec le Pan bagnat l’ingrédient principal du merenda, le casse-croûte niçois proposé par les marchands ambulants dans tous les quartiers laborieux.
La valse des plaques tente chez Pipo de combler l’attente des afficionados, c’est la rançon de la gloire de ce fleuron de la cuisine patrimoniale niçoise cuit à la minute, immuablement servi dans les mêmes proportions (simple ou double) depuis 20 ans, pour aiguiser l’appétence. Pour être assuré de trouver immédiatement une place en terrasse ou sur le combi wolkswagen garé devant le restaurant à la belle saison, il vaut donc mieux renoncer à déjeuner ou dîner à l’heure espagnole ! Car avec une rotation de 15 mn de cuisson par socca et 60 à 80 personnes assises lorsque le restaurant est complet, c’est mathématique, la socca se fait désirer. Chez Pipo, on patiente donc en général avec des tartinades aux anchois, artichauts, tomates séchées ou tapenades d’olives vertes et noires, ou encore une pissaladière, autre spécialité de la ville, sorte de pizza sans tomates, garnie d’oignons compotés traditionnellement au pissalat, sauce obtenue par macération en saumure de poutines, sardines et anchois. Ici, elle est cuisinée « nature » pour séduire aussi ceux que choque encore ce combo étonnant.
La socca se déguste donc sans couverts, généreusement poivrée, impérativement à la sortie du four car le refroidissement amoindrit ses qualités gustatives et rituellement escortée d’un verre de rosé depuis que le traditionnel Mascara est devenu introuvable ailleurs que sur les yeux frangés des femmes…En toute simplicité, on se laissera tenter par une cuvée spéciale dédiée à Pipo par le Château Rêva, un producteur varois au pied de l’Estérel.Bien que totalement rénové en 2010 par Steeve l’actuel propriétaire qui a souhaité plus que tout en préserver l’esprit, le restaurant est depuis sa création en 1923 à l’image de cette cuisine de terroir simple mais succulente, demeuré authentique avec son décor sobre et suranné, ses bancs et chaises peu ergonomiques, son four de plus de 300 ans en pierres de Biot offrant le spectacle permanent et magique de la cuisson et en prime, l’aimable promiscuité qui règne dans tous les lieux populaires.