Adolescent, j’étais une petite frappe. Je n’aimais pas l’école et je fréquentais des gens… à la moralité discutable, disons.
A l’âge de 16, 17 ans un voyou de mes copains avait fait un tatouage de dragon sur sa propre jambe avec de l’encre de Chine et des aiguilles, sur toute la face avant. Il a eu besoin d’aide pour faire le verso. J’ai donc essayé, et je m’en suis bien sorti. J’étais doué de mes mains et cette première expérience m’a plu. Je ne savais pas alors que j’allais vouer ma vie à l’Irezumi.
Ensuite, j’ai continué à tatouer la machine. Il y a près de 40 ans, dans le magazine « Yakuza News », j’ai trouvé une publicité pour un dermographe (machine à tatouer). C’était cher ! (À peu près 1300€ de l’époque). Mais j’ai trouvé l’argent et je l’ai achetée.
Il faut bien comprendre que ça n’existait pas les « artistes tatoueurs », c’étaient des yakuzas eux-mêmes qui tatouaient !
A l’époque déjà, irezumi = yakuza. Seules quelques corporations se font tatouer pour des raisons historiques, mystiques, de superstition. Les pompiers se font tatouer pour être protégés des démons du feu et les pêcheurs pour amadouer la Mer.
Chez moi à Fukuoka (province de Kyūshū dans l’île du Sud de l’archipel nippon) ce sont ces mêmes pêcheurs qui me servent encore de cobayes.
A la suite de broutilles, je suis placé vers 18 ans dans un centre de délinquance juvénile (la majorité est à 20 ans au Japon). J’y rencontre un jeune yakuza qui porte dans le dos une divinité bouddhiste réalisé au tebori (baguette de bois surmontée d’aiguilles).
C’est cette pièce qui me révèle mon destin. Je demande le nom du tatoueur responsable de cette pièce. On me répond : « c’est Nakamura Senseï ».
Pendant 3 ans, j’essaie de le convaincre de me prendre comme disciple. Dans un contexte de discipline extrême, de tension permanente avec le maitre et les clients, je mets en tout 6 ans pour être accepté. La constance aura payé, on me reconnait une certaine opiniâtreté. Mon apprentissage dure 10 ans. Tous les clients sont des Yakuzas.
C’est mon maître qui me tatoue chaque semaine, 5 à 6 heures par séance, pendant 2 ans.
C’est ça le paradoxe du Yakuza avec l’Irezumi. C’est la clientèle des Yakuzas qui a gardé cet art vivant et c’est ce même confinement qui le garde underground. Aujourd’hui encore, le tatouage est synonyme de bannissement social, c’est un rubicon que seuls les criminels endurcis franchissent. Il vous maintient à la porte des établissements « normaux » et de la plupart des espaces publics. C’est pourquoi, alors que les sociétés criminelles sont désorganisées de nos jours, la plupart des jeunes hésitent à se faire tatouer.
Il reste 4 ou 5 maîtres qui travaillent encore de manière traditionnelle et encore, tous ne forment pas des jeunes.
On me demande ce que je pense des occidentaux qui se font tatouer des motifs traditionnels… Si ce n’était eux, je pense tout cela aurait déjà été oublié, comme pourraient disparaitre les yakuzas « à l’ancienne ».
D’une certaine manière, je suis un ambassadeur officieux de cette culture des marges.
Quand je voyage à l’étranger, je vois que beaucoup disent faire du traditionnel japonais…
Je peux vous dire que rien n’y ressemble de près ou de loin. C’est pour ça que j’ai aujourd’hui cette volonté de documenter cette culture, ces techniques. On réfléchit à réaliser un livre, avec David.
Le japon a une culture de l’artisanat, du travail à la main. Quand le Japon a perdu la guerre, la machine est rentrée partout.
Mais la machine ne reproduit pas les irezumis qui font rêver, qui donnent des visions. La machine est trop parfaite, il n’y pas de nuances, pas de profondeur… Seule la main peut faire ça. Moi, tant que j’aurais la main ferme, je continuerais à faire ça, où on voudra bien de moi. Si c’est en prison, je peux tatouer en prison. Vous avez vu, il ne me faut pas grand-chose.
Mais pas trop vite, parce que j’aime bien vos pizzas à Nice !
Maître Honda est à Nice jusqu’à la fin du mois d’octobre 2017. Il reviendra ensuite…
Vous pouvez le contacter via son disciple David Raspoutine ici. David a un studio à Nice, lorsqu’il n’est pas au Japon à tatouer des yakuzas.
Le Maître est sur Facebook et Instagram.