Dans le milieu de la restauration macho à souhait, les femmes sont pourtant de plus en plus nombreuses. C’est avec persévérance, travail et passion que Virginie Acchiardo s’est imposée derrière les fourneaux du presque centenaire restaurant familial où elle perpétue les traditions culinaires niçoises.
Véritable institution depuis 1927, le restaurant niçois Chez Acchiardo est une affaire de famille et aussi de femmes. Virginie a pris place en cuisine pour y reproduire les recettes locales et authentiques transmises par son arrière-grand-mère, léguées ensuite par son père Joseph avec qui elle a appris le tour de main indispensable et des secrets bien gardés. Héritage et transmission sont les fers de lance de l’établissement où la 4e génération des Acchiardo œuvre pour préserver un patrimoine culinaire et proposer une carte aux plats exécutés selon les règles de l’art. Dans un restaurant labellisé « Cuisine Nissarde », on ne badine pas avec la tradition et Virginie met tout son cœur pour offrir le meilleur de Nice en termes de gastronomie, ancrée dans l’identité culturelle d’une ville pour elle la plus belle du monde.
Pouvez-vous nous raconter l’histoire de la création de votre restaurant ?
Mes arrière-grands-parents Giuseppe et Madalin ont racheté en 1927 un local qui était une cave à vins pour y ouvrir une petite cantine-bistrot. Ils proposaient une carte de spécialités niçoises qui très vite attira une clientèle fidèle. Mes grands-parents et mes parents ont continué à développer l’activité et en ont fait le restaurant à l’ADN presque inchangé qui se veut toujours « de quartier ». Aujourd’hui, mes frères et moi sommes aux commandes : Jean-François s’occupe de la partie bar, Raphaël de l’aspect administratif et de la salle et moi, j’ai le grand bonheur d’être en cuisine avec une formidable équipe de six personnes.
Est-ce que votre place à la tête de la cuisine a toujours été une évidence ?
Non, pas du tout. J’ai grandi dans ce restaurant, j’ai passé des heures en cuisine à observer et je souhaitais reprendre la main mais mon père Joseph a toujours considéré que ce n’était pas une place pour moi à cause de la pénibilité du métier. Il est vrai que chef dans un restaurant de cuisine familiale comme le nôtre est difficile pour les horaires par exemple mais aussi pour tout le travail de manipulation des ingrédients, des grosses casseroles etc… Proposer une daube en quantité suffisante demande un certain effort physique.
« Après mes études en hôtellerie, j’ai travaillé dans différents établissements puis j’ai aidé mes parents en salle mais je n’ai pas lâché mon idée de travailler en cuisine. Je suis une « testarde » et j’ai réussi à m’imposer. »
Quels changements avez-vous effectué sur la carte ?
La particularité du restaurant est que la carte est toujours la même. Je reproduis les recettes de famille que mon arrière-grand-mère faisait déjà : la soupe au pistou, la salade niçoise selon l’exacte recette, les merda de can (gnocchis à la blette), les petits farcis, les panisses … Nous sommes originaires du Piémont, du Val Maira où se trouvait le plus grand marché de l’anchois de toute l’Italie (l’approvisionnement se faisait à Gênes et Marseille et alimentait le nord du pays dans les montagnes enneigées) et je propose toujours Le filet de bœuf Madalin avec sa sauce aux hanchois hachés, persillade et huile d’olive. Dans L’Estocaficada (stockfish), le vrai de vrai, on trouve également des anchois et bien sûr dans La Pissaladière.
« Il y a peu des desserts niçois et j’ai réintroduit à la carte la Torta de Blea, la tourte de blettes sucrée que j’adore confectionner avec ce légume si cher à notre cœur de niçois et en suivant la recette de Madalin que j’ai retrouvée en épluchant ses cahiers »
Êtes-vous aussi fidèle aux recettes qu’aux fournisseurs de la famille ?
Tout à fait. Nous privilégions le circuit court depuis toujours et nous nous servons par exemple à la Boucherie Fulcheri dont l’affaire a plus de 60 ans. La société Neige Azur nous fournit en glaces depuis 50 ans et pour les fruits et légumes, le Marché Saleya et beaucoup de petits producteurs italiens proches de la frontière qui sont, il faut le dire, moins gourmands en prix.
Quelle est la place du vin dans votre restaurant ?
Elle est importante car pendant longtemps, on élevait le vin chez Acchiardo. Mon père allait chercher le raisin dans le Var chez des vignerons de Pierrefeu et il faisait son vin dans notre cave. C’était un gros travail qui a été abandonné au profit de citernes qu’il leur commandait. Aujourd’hui, nous nous approvisionnons chez divers producteurs dont certains du Domaine de Bellet pour rester dans le Comté de Nice.
Quel est selon vous le secret pour être une bonne cuisinière ?
Regarder, observer. Longtemps. Oui, il y a des recettes précises qui vous guident mais le petit truc en plus, le tour de main, le secret, cela se transmet, cela se chuchote.
« Mon père disait : « Un métier, ça ne s’apprend pas, ça se vole. ». C’est grâce à beaucoup d‘observation et de patience que les oignons de la pissaladière sont caramélisés et non brûlés ou trop sucrés et que même si je publiais mes recettes, il manquerait la touche de Madalin qui m’a été transmise.
Même famille, mêmes recettes mais quelles sont tout de même les nouveautés de la maison Acchiardo ?
Nous souhaitons continuer à proposer des prix attractifs à notre clientèle et peut-être grâce aussi à cela, le restaurant a du succès. Nous avons donc agrandi le restaurant en rénovant l’ancienne cave à vin et c’est une superbe salle voûtée qui peut désormais accueillir nos clients.
Propos recueillis par Anne Emellina / Photos Virginie Acchiardo