L'architecture est une chose sérieuse qu'il faut prendre avec légèreté. En croquant la ville de Nice avec brio et humour, Laurette Architecte désacralise la discipline en même temps qu'elle la rend plus humaine et sensible.
Architecte diplômée d’état de l’Ecole Paris-Malaquais, Laure a choisi de rendre sensible notre rapport à l’architecture plutôt que de bâtir. Elle intègre tout d’abord l’équipe du Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement de Paris (CAUE). Les ateliers pédagogiques dans les écoles, les centres de loisirs ou les hôpitaux mais aussi les promenades urbaines et visites guidées d’expositions d’architecture pour les adultes qu’elle y organise la persuade que ce rôle de partage et de transmission est bien sa vraie mission, et surtout ce qu’elle a envie de faire. Après deux ans de voyages avec son compagnon à la recherche de soi à travers l’autre, la voilà atterrie à Nice où elle devient « LauretteArchitecte » pour des projets d’illustrations qui la conduisent là encore à découvrir des techniques et rencontrer de belles personnes. A travers des images joyeuses et poétiques, c’est encore une façon pour elle de partager son regard sur la façon d’habiter et de vivre la ville.
Pourquoi avez-vous choisi de faire des études d’architecture ?
J’aurais aimé vous raconter des histoires de jeune fille passionnée de lego et autres jeux de construction mais ma rencontre avec l’architecture a été un peu plus pragmatique. C’est au moment de choisir mon orientation post-lycée que j’ai fait un test de magazine pour étudiants et que le métier d’architecte est ressorti comme correspondant le plus à mon profil de « scientifique créative ». C’est un raccourci un peu facile mais il a le mérite d’avoir planté une petite graine de cheminement possible, en dehors des rails sur lesquels je me trouvais et qui me fléchaient plutôt le parcours Prépa + école d’ingénieur. Quelques recherches sur le métier et discussions parentales plus tard, me voilà convaincue que c’est bien celle-là, ma voie. Après le Bac, j’ai pris une année sabbatique pour me préparer au concours d’entrée en école d’architecture. Cours de dessin, de modelage, pérégrinations dans Paris, expositions… Je me suis nourrie en toute liberté et suis entrée à l’Ecole d’Architecture Paris-Malaquais en 2006.
Comment vous êtes-vous retrouvée à Nice ?
J’ai vécu, fait mes études et commencer à travailler à Paris. En 2016, avec Anisse, mon compagnon de vie, de route et de bonnes idées, nous décidons de partir en tour du monde. Pendant deux ans, nous voyageons lentement et presque sans avion. Ressentir les distances, prendre conscience du paysage, de ses limites et de sa matérialité était notre crédo. Nous partons de Paris en bus vers l’Espagne pour rejoindre l’Algérie natale d’Anisse en bateau. Nous découvrons ensuite la beauté joyeuse du Sénégal puis le silence profond de l’Océan Atlantique. C’est en cargo que nous arrivons au Brésil avant d’acheter un bus scolaire au Chili que nous transformons en van pour un tour de l’Amérique Latine de neuf mois. Un avion plus tard, nous voilà envoutés par les effluves d’encens en Inde. Nous poursuivons en Thaïlande et terminons par une découverte des traditions vietnamiennes. Deux années de rencontre de Soi à travers l’Autre. Deux années d’ouverture au « tout est possible ». Deux années pour se demander où nous souhaitons nous ancrer… Ça sera NICE. Pour la mer, la montagne, la ville à taille humaine. Ça sera NICE aussi, et beaucoup, pour nous rapprocher de la famille d’Anisse.
Quel regard portez-vous sur cette ville et ses architectures ?
Je suis arrivée à Nice avec mes lunettes d’architecte. Mon regard s’est donc naturellement tourné vers le bâti et certaines constructions m’ont marqué particulièrement comme l’église Sainte Jeanne d’Arc. J’ai acheté une grande carte de Nice où j’ai épinglé les bâtiments que je souhaitais découvrir. Il y avait la Poste Thiers et ses mille et unes briques, le quartier des musiciens et ses décors Art Déco, la colline de Cimiez et ses villas Belle Époque. Il y avait aussi le vieux Nice et la cathédrale russe St-Nicolas pour voyager à deux pas de chez soi. C’est grâce à ces promenades architecturales que je me suis approprié la ville. Parfois, au détour d’une rue imprévue, sur une architecture à l’air banal, c’est un détail qui capte mon regard et me fascine : une pousse vagabonde, une ferronnerie de dentelle, un balcon habité, une fresque décrépie…
Une façon de rendre accessible et de désacraliser l’architecture ?
L’architecture est pour moi accessible par essence. Ce sont les murs dans lesquels nous vivons, ce sont les rambardes que nous touchons, ce sont les sols que nous foulons… L’architecture ce n’est pas seulement un objet à regarder de l’extérieur, c’est surtout une enveloppe qui accueille la vie, l’humain. L’approche sociologique est la base de ma conception de l’architecture : comprendre comment les gens vivent pour répondre à leurs besoins. Être architecte nécessite en effet d’avoir une analyse fine des différentes échelles : depuis l’intégration du bâti dans son environnement jusqu’à l’emplacement des prises de courant, en passant par le dessin des fenêtres en fonction des pièces. Désacraliser l’architecture et l’architecte est ce qui donne du sens à mon quotidien. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi le pseudo Laurettearchitecte. Je m’appelle Laure mais mes proches m’appellent Laurette. Je souhaite transmettre l’image d’une architecture amicale, accessible et faire descendre l’architecte de son piédestal.
A l’heure du digital, il y a un gros retour des technique « à l’ancienne »(Sérigraphie, linogravure, etc) que vous utilisez aussi beaucoup. Que vous apportent-t’elles ?
Les techniques « traditionnelles » d’illustration m’apportent un rapport sensible à la matière, presque sensuel. Le choix du grain d’un papier, le crissement d’un crayon sur la feuille, l’odeur de l’encre sont autant de moments qui marquent des étapes de création. J’aime beaucoup la linogravure car elle invite à simplifier le trait. Elle consiste à graver avec des outils (les gouges) une plaque de linoleum et à retirer de la matière pour obtenir une illustration en relief (comme un tampon). Ici aussi, l’illustration simplifiée est au service d’un désir de transmission intelligible.
Vos créations ne sont-elles pas aussi un prétexte à la rencontre et à la transmission (atelier pour enfants) que le métier traditionnel ne permettait pas ?
Vous avez tout compris ! L’illustration est un outil qui me permet de vulgariser et de transmettre des connaissances en lien avec la ville et l’architecture. Je n’ai jamais travaillé comme architecte « classique ». Après mes études d’architecture, j’ai travaillé cinq ans comme architecte-responsable d’actions pédagogiques au CAUE de Paris (Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement). Ateliers à destination des enfants dans les écoles, les centres de loisirs, les hôpitaux mais aussi promenades urbaines et visites guidées d’expositions d’architecture pour les adultes. Autant d’opportunités pour partager une approche sensible de l’architecture et inviter l’enfant comme le plus grand à lever les yeux pour porter un regard curieux et critique sur ce qui nous entoure. Grâce au CAUE de Paris, j’ai découvert une nouvelle facette du métier d’architecte, et ce pour quoi j’étais faite !
Où peut-on trouver vos créations et assister à vos ateliers ?
Vous trouverez mes linogravures sur ma boutique Etsy. C’est un chantier en cours, il faut que je la nourrisse. Pour les autres illustrations comme le plongeoir de Nice, je fonctionne plutôt via Instagram. J’ai aussi des commandes spécifiques comme la carte de vœux que je viens de faire pour Tourrette-Levens. En ce moment, je travaille sur deux cahiers d’activités pour enfants avec les Editions Gilletta : des carnets d’enquêtes pour voir Nice autrement tout en s’amusant ! Ils sortiront en librairie au Printemps prochain.
Quels sont vos futurs projets ?
Les ateliers sont dans mes futurs projets. Avec le CAUE de Paris, nous avons créé la première Ecole d’Architecture pour Enfants en France. Je compte commencer par proposer des stages pendant les vacances scolaires. Et développer l’offre d’activités à faire à la maison, en famille (cahiers d’activités, kits de construction…). J’envisage aussi des collaborations avec d’autres villes pour leurs concevoir des outils pédagogiques personnalisés (livret-jeu pour promenade urbaine, ateliers dans les classes…).
Pour finir, je déborde d’idées et d’envie de futurs livres jeunesse. Sur la ville, il y a tellement de choses à dire !
Propos recueillis par Eric Foucher