"Foodographie". C’est l’histoire d’une fusion entre deux obsessions : la photographie et la cuisine. Derrière ce néologisme, se cache un fin gourmet : Erwan Fournier Le Ray.
Difficile de ne pas avoir l’eau à la bouche lorsque l’on visionne les photographies d’Erwan Fournier Le Ray, le fondateur du studio500GRAM. Son credo ? Sublimer les plats et produits du quotidien, en mettant en lumière le travail de passionnés : chefs, boulangers, artisans, paysans… Rencontre avec un créateur d’histoires culinaires, qui n’a pas fini de nous faire saliver.
Vous avez crée votre propre entreprise dédiée à l’image dans le fooding. Comment l’idée a mûri en vous, quel a été le processus créatif de ce projet ?
L’idée d’entreprendre me titillait fortement depuis de nombreuses années, mais j’ai repoussé ce doux rêve pendant longtemps pour plein de bonnes et de mauvaises raisons. Il fallait que je sorte de ma « zone de confort » et que je fasse face aux nombreuses difficultés engendrées par la création d’une entreprise. Mais à un moment donné, devenir indépendant est devenu une priorité pour me permettre de m’épanouir professionnellement et laisser enfin ma créativité s’exprimer. Cette évidence est devenue plus forte que toutes les peurs.
Une fois que vous êtes vous-même convaincu à 200%, plus rien ne peut vous arrêter !
Avez-vous toujours été fasciné par le monde de la cuisine ?
La cuisine a toujours fait partie de ma vie : ma mère et mes grands-mères cuisinaient beaucoup et j’adore moi-même cuisiner. Ma femme travaille dans la restauration et lorsque l’on s’est rencontrés, j’ai très vite eu envie d’associer l’univers de la photo et de la cuisine.
La photographie culinaire est un art souvent sous-estimé (comparé à la photo de mode ou de paysages), j’ai donc eu envie de m’y consacrer pleinement pour la « réhabiliter », persuadé que la créativité pouvait aussi s’exprimer pleinement dans ce domaine. J’ai également découvert de nombreux photographes qui m’ont inspirés et qui m’ont aidé à me lancer.
La cuisine est quelque chose d’universel, qui rassemble les gens par delà les frontières et les différences.
Je suis toujours émerveillé quand je vois le travail des équipes dans les cuisines d’un restaurant ou le savoir-faire d’artisan chocolatier ou boulanger. Découvrir tous ces métiers de l’intérieur, est un vrai plaisir en tant que photographe. Je pense que pour être bon dans ce métier, il faut avant tout être curieux.
J’ai lu sur votre site que vous étiez passionné par la photographie des petits pois et des sardines grillées, pourquoi ?
Oui effectivement… mais c’était une façon imagée et un peu provocatrice de décrire mon approche et mon travail. J’ai récemment échangé avec une personne qui souhaitait mettre de l’extra dans l’ordinaire… Or, je considère que la photo et la photo culinaire en particulier c’est exactement cela : rendre en image des choses tout à fait ordinaires, extraordinaires !
Rien de plus ordinaire et insignifiant que des petits pois ou des sardines dans une conserve… et pourtant il y a toujours un moyen de les révéler et d’en faire des « stars » visuellement !
C’est un challenge constant et une manière de toujours me pousser à mieux faire, à me dépasser et à regarder les choses différemment.
Pensez-vous que l’on accorde aujourd’hui beaucoup plus d’importance à ce que l’on met dans notre assiette qu’auparavant ?
Oui, indéniablement. Ce changement a démarré lors des révélations autour de la malbouffe industrielle. Le public a compris que la chimie avait remplacé la « vraie cuisine », et qu’elle affectait notre santé et notre corps. Pour ma part, ça a été une prise de conscience progressive. Aujourd’hui, je suis persuadé que bien manger est possible : il suffit de changer notre façon de consommer et refuser les diktats du marketing agro-alimentaire qui nous font croire que plus on consomme vite, plus on aura du temps pour d’autres activités.
En réalité, pour bien manger, il faut reprendre possession du temps. Ce nouveau mode de pensée passe aussi par l’éducation de nos enfants qui seront les consommateurs et citoyens de demain.
Nice est-elle une ville inspirante « culinairement parlant » ?
Nice est ma ville de cœur car les couleurs, les odeurs, les lumières…. tout me parle. Le patrimoine gastronomique est très riche. Entre la culture méditerranéenne, l’influence italienne et la tradition culinaire française, ça donne un mélange merveilleux et gustativement unique !
Lors d’un shooting photo, comment rendez-vous un plat appétissant ?
Beaucoup de critères doivent être pris en compte. Cela passe par la composition du plat lui-même, les aliments choisis, mais aussi la lumière et l’éclairage, qu’ils soient naturels ou artificiels. Les accessoires ont également beaucoup d’importance, sans oublier le cadrage et la composition de l’image. Je peux passer beaucoup de temps à déplacer les éléments d’une photo pour arriver à trouver leur position idéale. Il faut aussi savoir retravailler les aliments durant le shooting pour leur redonner de l’éclat. C’est ce qu’on appelle le « stylisme culinaire », et c’est une partie de mon métier que j’affectionne tout particulièrement. Il reste ensuite tout le travail en post production, notamment les retouches, essentielles pour sublimer l’image.
Quel a été le plat ou le produit le plus difficile à shooter ?
Deux choses sont assez difficiles à prendre en photo : tout ce qui possède des reflets, comme les bouteilles. Je fais toujours la chasse aux reflets dans mes photos. Ensuite, les plats en sauce ne mettent pas forcément en valeur les aliments, car ils sont « noyés ». C’est donc moins intéressant visuellement. La couleur occupe également une place essentielle, car on mange d’abord avec les yeux !
Je considère que chaque plat a le droit d’être une « star » . À chaque fois, je me mets au défi de le mettre en valeur, quel qu’il soit.
Quelle a été votre rencontre la plus marquante cette année ?
Ma rencontre avec Armand Crespo, qui possède plusieurs établissements à Nice et pour lequel le studio réalise les photographies et textes pour le compte Instagram de plusieurs de ces restaurants, est certainement la plus enrichissante. C’est quelqu’un qui aime transmettre sa passion et le goût de la cuisine. Chaque plat est une histoire, chaque équipe souhaite donner le meilleur de la cuisine locale et française. Avec Armand Crespo, on peut discuter des heures autour d’une histoire de pâtes ou de la composition d’un des plats au menu !
Est-ce que vous prenez tous vos plats en photo au restaurant ?
Non absolument pas… C’est même très rare. Je dois avouer que je déteste faire cela. Une photo prise instantanément avec une mauvaise lumière et un mauvais cadrage ne rend pas hommage au plat, ni au travail des équipes en cuisine.
J’aime prendre du temps pour sublimer un plat, alors quand je suis au restaurant, je préfère le déguster !
Vous êtes alors plutôt « contre » les photos instantanées prises avec le téléphone ?
Non, tout dépend du contexte. La photo instantanée répond à une logique de communication instantanée sur les réseaux sociaux, qui fait partie de notre quotidien, tant dans notre vie privée que professionnelle. On peut la refuser, mais c’est une réalité qu’il nous faut accepter et que l’on peut utiliser de manière intéressante. Personnellement, j’utilise la photo dite « instantanée » pour communiquer sur mon travail et sur ce que j’appelle les « behind the scene », en dévoilant les coulisses d’un shooting par exemple.
Si demain était votre dernier jour sur terre, quel plat voudriez vous absolument manger ?
La question est difficile ! (rires). Il y a beaucoup de plats que j’affectionne et qui me régale. Néanmoins, je suis devenu un carnivore raisonné et raisonnable (je n’achète ma viande que chez mon boucher niçois et j’en mange qu’une à deux fois par semaine) et donc une bonne viande est pour moi un plat magique.
Je pense tout particulièrement à une double côte de veau rôtie au sautoir façon Apicius ; j’adore d’ailleurs la cuisiner moi-même…
Pour finir, est-ce que vous pouvez nous citer 3 adresses à Nice où l’on peut se régaler ?
Les restaurants d’Armand Crespo bien sûr, tels que le bistrot d’Antoine ou le bar des Oiseaux. Grâce à mon métier, je connais bien les chefs qui y cuisinent et la manière dont ils pensent leurs plats. Je suis un grand fan ! Ensuite, je dirais le restaurant « Lavomatic« , pour son incroyable sens de l’accueil. On s’y sent toujours bien et les vins sont excellents. Enfin, direction la Micropâtisserie pour savourer des financiers moelleux ou une pavlova irrésistible. C’est ma femme la cheffe, et il est impossible de résister à ses délicieuses pâtisseries faites avec des produits locaux et éco-responsables !
Par Louise Ballongue / Photos : studio500GRAM