Constance est cordonnière et artisane du cuir. Elle façonne, répare et crée des objets d’exception, tout en vouant un culte sans nom à un produit modeste du quotidien : la chaussure. Rencontre avec une artisane d’un autre temps, qui a décidé de militer pour la qualité.
Depuis sa plus tendre enfance, Constance dessine. Mais pas n’importe quoi. Des chaussures, des chaussures, et encore des chaussures. Cet amour du produit, elle l’a transformé en un métier : Constance est artisane du cuir et restaure les souliers oubliés. Fondatrice de sa propre marque (Yer Ana), elle lance prochainement une ligne de sandales 100% françaises, « réparables à vie ». Une promesse ambitieuse, quasi philosophique, à contre-courant de la mode d’aujourd’hui.
Tu es cordonnière et artisane du cuir, pourquoi avoir choisi d’exercer ce métier à 22 ans à peine ?
Depuis que je suis toute petite, je dessine des chaussures. J’ai toujours voué une forme d’obsession à ce produit.
Une ancienne amie du primaire m’a d’ailleurs raconté que je dessinais déjà, en classe, des chaussures. Elle avait des souvenirs de mes dessins.
Après le lycée, j’ai naturellement voulu devenir styliste chaussures, BTS mode s’est naturellement imposé. , axé malheureusement sur la « fast fashion », ce qui ne m’a pas du tout plu.
À ce moment charnière de ma vie, je commençais à me préoccuper de l’environnement, et mes études ne correspondaient pas à mes valeurs.
À l’issue de ce BTS, j’ai choisi d’intégrer les « Compagnons du devoir », et suivi une formation CAP bottier (afin de réaliser des chaussures sur mesure, ndlr). J’ai adoré les cours. Réparer les chaussures était une évidence ! J’ai pu mettre à profit toutes ces nouvelles connaissances en devenant maître d’apprentissage au sein d’une cordonnerie à Cannes, durant près d’un an. Désormais, je suis à mon compte !
Est-ce que tes proches t’ont soutenu lorsque tu as choisi ce métier peu commun ou est-ce qu’ils avaient peur pour toi ?
Non, pas du tout. Ils n’ont pas eu peur. J’ai toujours aimé faire des choses avec mes mains et j’ai toujours beaucoup dessiné, alors, pour eux aussi, le fait que je devienne cordonnière était une évidence.
Est-ce que l’on t’a déjà dit que tu faisais un « métier d’homme » ?
Oui, tout le temps ! D’ailleurs, à Cannes, j’étais la seule cordonnière fille dans l’atelier.
Des clients réticents m’ont même avoué qu’ils ne me faisaient pas confiance car « j’étais une jeune femme ». On dit souvent qu’être cordonnier est un métier difficile, mais le plus difficile c’est de faire face aux stéréotypes !
Néanmoins, comme j’ai toujours fait du bon travail, je suis contente de montrer que tout ça est possible. Oui, on peut être une fille et être un excellent cordonnier. Beaucoup de clients m’ont fait confiance et me font confiance encore aujourd’hui en me donnant leurs chaussures.
En tant que femme, penses-tu « dépoussiérer » ce milieu du cuir, en y apportant une nouvelle vision ou une nouvelle façon de faire ?
Il est vrai que je ne vais pas me concentrer uniquement sur l’aspect « utile » d’un produit. Lorsque je répare une chaussure, je ne souhaite pas qu’elle devienne juste propre.
Je me concentre sur la beauté du travail, j’essaye de rendre les choses agréables, d’y apporter de l’esthétisme. Il faut avoir l’oeil !
Pourquoi avoir choisi d’installer ton atelier au sein du Pressoir, est-ce que ce lieu t’inspire ?
Complètement ! Le Pressoir (Atelier/Galerie situé à Cagnes-sur-Mer, ndlr), c’est une histoire de rencontres. Nous sommes un collectif de 4 artistes et artisans d’art. Mais c’est aussi un lieu chargé d’histoire – le pressoir à vin a 200 ans – et il insuffle un certain rythme, une certaine façon de travailler. Ici, on prend le temps.
Dans cette galerie, les visiteurs se baladent, prennent le temps de discuter, de poser des questions, de s’interroger, c’est très enrichissant.
Quels produits vends-tu dans ce lieu hors du commun ?
Vous pouvez y retrouver une petite collection permanente de vides poches, d’étuis à lunettes et de maroquinerie. À partir d’avril, il y aura ma collection de sandales éco-responsables. Je prévois 2 modèles, qui sortiront en pré-ventes, fin mai.
Parle-nous de cette nouvelle ligne de sandales « réparables à vie ». D’où t’es venue cette idée, quel a été le processus créatif de ce projet ?
Depuis quelques années, les chaussures sont moins repérables et vouées à être jetées. Le fait de réparer sa sandale ou sa bottine a été perdu avec la fast fashion. J’ai voulu remettre cet acte au goût du jour en représentant la réparation non pas comme une option, mais comme un argument d’achat, comme une philosophie.
Cette collection de sandales sera également intemporelle et non genrée. Je ne veux pas que le modèle ne soit « plus à la mode » d’ici quelques années ! Le talon, en caoutchouc naturel, sera fabriqué à partir de lait d’hévéa, cuit et coulé dans des plaques. Les clous en laiton seront 100% recyclables et le fil de lin utilisé proviendra de Lille. Le tannage du cuir sera par ailleurs végétale, pour limiter l’impact sur l’environnement.
Cette technique, beaucoup plus lente que le tannage au chrome – il faut attendre 12 à 15 mois pour obtenir un cuir souple et imputrescible – consiste à enfouir les peaux dans des tubes contenant des écorces de mimosa, châtaignier et acacia.
Enfin, tous les matériaux seront « made in France ». J’y accorde beaucoup d’importance, mais je suis peinée que ce label, trop large, soit utilisé à mauvais escient. De nombreuses marques qualifient leurs produits de « Made in France » alors que seul d’infimes détails sont conçus en France. Pour toutes les personnes – et je m’inclue dedans – qui font des efforts pour faire du 100% français, c’est frustrant, mais rien ne nous empêchera à terme de créer notre propre label ! (rires).
Fabriquer une chaussure de A à Z, ça prend combien de temps ?
La durée varie en fonction du modèle, mais je dirais entre 10 et 15 heures.
C’est quoi une « bonne paire » de chaussures ? Comment repérer celles qui vont tenir dans le temps ?
En premier lieu, il faut choisir du cuir. Les matières plastiques, ça n’est vraiment pas terrible ! Ensuite, on ne doit pas hésiter à mettre le prix – une bonne paire de chaussures, ça coûte cher. Mais elles dureront bien plus longtemps. Il suffit ensuite de bien les entretenir, de ne pas les porter tous les jours – le cuir est une matière vivante qui a besoin de sécher. Vous devez également les brosser et les crémer souvent.
Refaire faire ses talons, on croit que c’est un truc de vieux. Mais en réalité, c’est génial pour la planète !
Penses-tu que l’on a oublié le vrai prix d’une paire de chaussures ?
Complètement ! Avec la fast fashion, on est habitués à des prix bas, voire très bas. Mais ce n’est pas normal, ni anodin. Cela signifie qu’il y a un endroit dans la chaîne où ça pêche : soit la matière est catastrophique, soit la main d’oeuvre est très peu payée. C’est une aberration de trouver des paires de chaussures à 30, 40 euros. Ce n’est pas la réalité. Pour moi, le vrai prix d’une paire de chaussures en cuir, c’est entre 100 et 300 euros.
C’est un effort de se réhabituer au vrai prix des choses. Mais une bonne paire, tu la gardes plus de vingt ans !
Je porte d’ailleurs très souvent une paire de chaussures qui appartenait à ma mère, elles sont impeccables. Quant tu arrives à transmettre ta paire à tes enfants, c’est génial, même si ça devrait être la norme !
Penses-tu que les métiers manuels soient de nouveau en vogue aujourd’hui ?
Oui et il faut les valoriser. Encore aujourd’hui, on entend des discours indécents comme « si tu es nul à l’école, tu finiras par faire un métier manuel ». Etre cordonnier a notamment été une « porte de sortie », très mal perçu. Alors que nous sommes pourtant ceux qui fabriquent tout ! Le pain, les chaussures, les meubles, les maisons… Les métiers manuels sont essentiels.
Selon toi, quels sont les bénéfices au quotidien d’un métier manuel ?
Le réel avantage du métier de cordonnier, c’est de rendre heureux les autres. Lorsque l’on voit le sourire illuminer le visage des clients quand ils récupèrent leurs souliers, c’est hyper gratifiant. Ils pensent souvent que leurs chaussures sont »foutues » et sont très reconnaissants de les récupérer comme neufs !
Sinon prendre le temps de s’asseoir 20 minutes pour faire un beau cirage, c’est trop agréable !
On peut lire sur ton compte Instagram que « Rien ne se jette, tout se répare » comment appliques-tu cette devise au quotidien ?
Et bien ça va jusqu’aux épluchures de carotte, je me fais ma soupe avec (rires). Le gâchis, je l’ai en horreur. C’est mon combat. Même pour les vêtements, on trouve toujours des solutions pour les rafistoler !
Qu’est-ce que tu portes en ce moment comme paire ?
Des Paraboots ! Ce sont des chaussures des très bonne qualité et françaises. Petit bonus : elles sont tout à fait réparables.
Quels sont tes rêves pour le futur ? Qu’est-ce que l’on peut te souhaiter de beau ?
Dans quelques années, j’aimerais bien ouvrir une cordonnerie, plus grande que le Pressoir, avec des produits conçus avec des matériaux écologiques. Dans cet atelier, on pourrait s’acheter une paire de sandales, mais aussi prendre un café, écouter des conférences inspirantes… Un lieu de rencontres et d’apprentissage en somme, voilà mon idéal ! (Rires).
NB : vous pouvez retrouver les produits de Constance en vente au Pressoir, au 10 Rue Dr Michel Provençal, Cagnes-sur-Mer.
Par Louise Ballongue / Photos :