Riche parcours de vie que celui de Jean Spizzo qui cumule les talents. Entre littérature, théâtre et cinéma, il a su se classer au palmarès des neuf producteurs niçois de l'AOC de Bellet. Rencontre avec un vigneron indépendant qui met dans son vin la même passion que celle qu'il a pour l'art.
Dans ce micro-vignoble de Bellet caché dans le tissu urbain de Nice qui n’excède pas une cinquantaine d’hectares, le vin produit est qualifié de « trésor des collines ». Deux domaines sur neuf de cette petite appellation sont détenus par de grands groupes, les sept autres dont celui de Jean Spizzo sont des exploitations familiales. Son vin « Collet de Bovis » est cultivé et vinifié au Domaine du Fogolar en lisière d’une ancienne voie romaine. Fogolar (foyer en frioulan) témoigne des origines italiennes de la région du Frioul de ce professeur d’université à la retraite. Spécialiste de théâtre et de littérature italienne, il a obtenu un poste à Nice en 1972 et c’est en cherchant un terrain pour construire sa maison qu’il est tombé par hasard sur une zone en AOC Bellet. Il a donc planté quelques vignes en espérant trouver le temps entre ses cours, ses publications et son travail de metteur en scène de théâtre pour s’en occuper. Les premières bouteilles obtenues ont été réservées à sa consommation personnelle mais en se passionnant de plus en plus pour la culture de la vigne, il commence à commercialiser sa production en 1991. Avec l’acquisition de nouvelles parcelles, il possède désormais 4 Ha ½ de terrain et au fil du temps, médailles de concours et citations de grands guides l’ont désormais placé parmi les producteurs bio qui comptent.
Lorsqu’un spécialiste de Pirandello réussit à commercialiser son vin, on se pose forcément la question : avez-vous grandi dans l’univers de la vigne pour connaître les ressorts du métier ?
Pas du tout. Ma formation s’est faite sur le tard mais j’ai eu la chance de bénéficier d’aide et de conseils de la part de mes voisins vignerons. Charles Bagnis qui était propriétaire du Chateau de Crémat et président du syndicat des Vignerons m’a notamment beaucoup épaulé. Enfin, j’ai appris énormément avec Olivier Nasles, œnologue de formation qui a fondé Aix Oenologie et aujourd’hui président des Coteaux-d’Aix-en-Provence.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce métier ? Y a t-il un lien avec votre autre passion qui est le théâtre ?
Le vin c’est une émotion et tout le travail autour de la vigne n’est que joie. Certes, il y a des étapes fatigantes et beaucoup d’aléas mais je suis aidé par mon gendre. Je suis le doyen des vignerons de Bellet mais ma passion est intacte.
Je compare l’art du vin au théâtre car les deux sont des arts du vivant
on suit sa croissance dans la vigne, il est comme la nature, spontané et imprévisible et il reste vivant dans la bouteille, il évolue et demeure libre car je le laisse s’exprimer sans ajouter d’intrants chimiques. Et comme la littérature et le cinéma, le vin fabrique plus que du plaisir, je dirais de la jouissance car il nous permet de nous approcher de quelque chose de rare.
Quelles sont les caractéristiques de votre vignoble et votre ligne de conduite en viticulture et à la cave?
J’ai naturellement planté les cépages typiques de l’appellation Bellet, le Braquet et la Folle Noire. Je produis les trois couleurs : pour le rouge, s’ajoute du Grenache à la Folle noire, le blanc est un monocépage Rolle (appelé aussi Vermentino) et le rosé est du pur Braquet. Le Braquet sur le poudingue, sol au conglomérat silico-calcaire de galets roulés et de sable, permet une grande originalité, une suavité particulière.
Le vignoble se situe le plus au sud de l’appellation et bénéficie de l’apport marin qui enrichit le vin de notes iodées caractéristiques.
Les vignes sont fertilisées à l’engrais organique, aucun insecticide n’est utilisé. Les vendanges sont manuelles et la mise en bouteille se fait uniquement à la propriété. Petite précision pour le vin blanc, je suis le seul vigneron de Bellet à le vinifier en barrique de chêne (à moitié pour le vin de garde et complètement pour la Cuvée Prestige).
J’imagine votre fierté à recevoir autant de récompenses aux concours. Quelles sont les dernières obtenues ?
En effet, j’en suis très heureux. Je peux vous parler des médailles Or au Concours Général Paris 2019 pour le rouge, le Barriqué Or Concours Féminalise pour le blanc 2017, plus récemment en 2020, Argent au Concours Vignerons Indépendants et or Féminalise encore pour le rosé. Le vin de Bellet est élégant, tout en finesse avec un côté féminin et c’est certainement pour cela qu’il est autant primé par Féminalise. On peut aussi trouver de nombreuses citations dans les guides Hachette, Dussert-Gerbert, Vins de France, Vino Média etc….
Quelles sont les tables que vous fournissez ?
Il y en a pas mal : L’Âne Rouge et la Table d’Alziari à Nice, L’amphitryon à Colomiers (2* Guide Michelin), The Royal Oak Paley Street et la Trompette Chiswick (1* Guide Michelin) à Londres …. Egalement des boutiques dépositaires comme l’épicerie fine Le Goût de Nice et des cavistes comme la Cave du Loup à Villeneuve-Loubet.
Diriez-vous que votre vin vous ressemble ?
D’une certaine façon oui car il y a une forme de paternité qui s’exerce. Le terme « éleveur » est accordé au vigneron qui élabore son vin et le conserve en cuves et en barriques dans son chai.
Oui le vin a un visage, il est certain que la main du vigneron y est pour beaucoup.
Accordez-vous toujours autant de place au monde de l’art ?
Ma cave accueille des artistes et j’organise souvent des vernissages-dégustation. Je participe à Art&Vin qui invite des artistes plasticiens, photographe, peintres à installer leur œuvres dans les caveaux, au milieu des vignes. En ce moment j’expose Maxim Korolëv, un peintre influencé par l’impressionnisme et Christian Watine, niçois qui produit une série de tableaux autour des chaises bleues de la Promenade des Anglais.
Propos recueillis par Anne Emellina
Domaine du Fogolar 370, chemin de Crémat impasse Collet de Bovis 06200 Nice