Parmi les acteurs du Nouveau Réalisme, Daniel Spoerri, figure pourtant majeure, a été un peu oublié. Le Mamac de Nice consacre pour la première fois une exposition thématique de 300 œuvres au maître des "Tableaux-pièges"et à l’initiateur du "Eat Art".
Le parcours de l’exposition a été conçu de manière à mettre en avant l’art de l’appropriation, le monde des objets qui ouvre ses portes à Daniel Spoerri. Une mise en scène pensée comme une déambulation dans un théâtre forain montre comment le hasard, le dérisoire, l’art et la vie se confondent pour l’artiste roumain dans un ensemble d’œuvres qu’il voulait participatives.
Au travers des trois étapes du parcours présentant ses pièges et attrapes, ses banquets et ses cabinets de curiosité, le visiteur vivra une expérience collaborative dans un univers où tout est art, il suffit de le piéger. Daniel Spoerri exploite le caractère magique de l’objet car pour lui le monde est potentiellement œuvre d’art.
D’abord danseur étoile, puis metteur en scène de théâtre et poète, c’est en 1960 qu’il conçoit ses premiers tableaux-pièges et rejoint les Nouveaux Réalistes (Yves Klein, Jean Tinguely, Arman, César, Niki de Saint Phalle …).
Daniel Spoerri collecte des objets du quotidien en vrac, les colle sur une chaise, une table, une caisse, un plateau puis redresse l’ensemble à la verticale comme un tableau.
Il relève la beauté poétique des objets délaissés, trouvés dans les marchés aux puces par exemple (série des Foires aux puces) et le piège qu’il crée ainsi en fixant les objets permet de repenser la signification de ces objets. Le spectateur est amené à développer sa propre interprétation.
Lors de cette première étape « Pièges, farces et attrapes », on traverse les stands anti-illusionnistes où Daniel Spoerri joue au démystificateur en « détrompant l’œil » avec l’insertion d’un objet dans une peinture classique, tournant ainsi en dérision l’œuvre peinte et son caractère illusionniste. Dans la série « Trésor des pauvres », il confronte une vision idéalisée du monde à des objets qui viennent la contredire : un rostre de poisson scie sort en relief d’une tapisserie façon Aubusson (« Péril en mer »), un néon kitsch auréole un lion (« La Sainte Famille« ).
Les objets s’associent aussi à des mots pour créer des Pièges à mots comme ces oreilles en plastique collées à un papier peint de briques : les murs ont des oreilles !
L’exposition se poursuit avec l’étape Restaurants, banquets et tripes. La bonne chère et le partage sont au cœur de l’œuvre de l’artiste. Il ouvre ainsi la voie de l’Eat Art en créant en 1963 son premier restaurant éphémère (à la galerie J à Paris) où seront produits ses tableaux-pièges en collaboration avec les convives au cours de dix soirées. Assiettes vides, restes de repas, cendriers pleins, journaux d’époque … constituent ces « tables piégées » qui sont des archives, des témoignages de mode de vie de l’époque (« Le repas hongrois », « Variations autour d’un repas » ou « Vieux ustensiles de cuisine »).
Photographies, menus, vidéos nous plongent dans cette folle époque où fut créé le Restaurant Spoerri accolé à l’Eat Gallery qui exposait des oeuvres comestibles ou encore dans la période des banquets aux mets étranges, jouant sur les ambivalences entre attraction et dégoût.
Le geste de Spoerri, c’est la pétrification d’un moment. Grand collectionneur, il replace presque tout dans un cycle de vie à travers l’art avec les objets les plus dérisoires de ses cabinets de curiosité.
Dans la dernière partie de l’exposition, « L’Optique moderne » rassemble une collection de lunettes d’artistes, la « Pharmacie bretonne » exploite l’idée de l’eau guérisseuse avec ses 117 eaux provenant de sources sacrées et la série « Médecine opératoire » livre une anatomie détaillée du corps humain.
Agé de 91 ans, Daniel Spoerri n’a peut-être pas dit son dernier mot avec ce prosaïsme, cet humour et cette dérision qui l’on rendu célèbre.
Petit plus : A l’occasion de cette exposition, une œuvre monumentale et majeure de Daniel Spoerri a rejoint la collection permanente du musée. Clou du spectacle, « Réplique de la chambre 13 » (reconstitution de la pièce occupée par l’artiste en arrivant à Paris au début des années 60) a fait l’objet d’un don au MAMAC.
Par Anne Emellina / Photos Anne Emellina